Dans la cause Picard c. Canada (Office de la propriété intellectuelle), 2010 CF 86, Cour Fédérale a statué que “le Bureau des brevets doit à tout le moins rendre disponibles dans les deux langues officielles les abrégés des brevets.
[9] Le résultat est qu’une demande de brevet, même lorsqu’elle devient disponible pour consultation par le public, ne l’est que dans une langue officielle, soit celle dans laquelle elle a été déposée. Seuls quelques renseignements, dont aucun ne permet de comprendre le fonctionnement de l’invention couverte et l’étendue du monopole conféré, sont disponibles dans les deux langues officielles une fois le brevet octroyé.
[10] À la demande du demandeur, le Commissariat aux langues officielles a fait enquête sur la compatibilité de cette situation avec la Loi sur les langues officielles, y compris notamment ses parties II, IV, et VII.
[11] Le Commissariat a déposé son rapport final le 6 janvier 2009. Il a conclu que le Bureau des brevets ne violait pas les parties II (relative aux « actes législatifs ou autres ») et IV (relative aux « communications avec le public et [à la] prestation des services ») de la Loi. Il a, cependant, recommandé que l’Office établisse un plan d’action visant à rendre disponibles les abrégés des brevets dans les deux langues officielles, afin que le Bureau des brevets remplisse l’objectif de la promotion de l’égalité linguistique conformément à la partie VII de la Loi sur les langues officielles.
[12] L’Office a approuvé trois projets en réponse aux recommandations du Commissariat. Il va rendre disponibles des abrégés bilingues des demandes de brevets provenant du système de demandes internationales dans le cadre du Traité de coopération sur les brevets, et peut-être fournir une traduction automatique non-officielle des abrégés de tous les autres brevets. De plus, l’Office va mettre à la disposition du public un système de recherche par mots-clés bilingue capable de retourner des résultats dans les deux langues en réponse à une recherche dans une seule.
[13] Insatisfait du rapport du Commissariat et de la réponse de l’Office, le demandeur a intenté le présent recours.
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LES QUESTIONS EN LITIGE
[14] Le demandeur soutient que les brevets et les demandes de brevet doivent être bilingues afin de respecter les exigences de la Loi sur les langues officielles. Il s’agit donc de déterminer si le fait que ces documents ne sont disponibles que dans l’une des deux langues officielles contrevient
1) À l’article 7 de la Loi sur les langues officielles ; ou
2) À son article 12 ; ou
3) À son article 22 ; ou
4) À sa partie VII (et particulièrement à l’article 41).
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Textes d’application
7. (1) Sont établis dans les deux langues officielles les actes pris, dans l’exercice d’un pouvoir législatif conféré sous le régime d’une loi fédérale, soit par le gouverneur en conseil ou par un ou plusieurs ministres fédéraux, soit avec leur agrément, les actes astreints, sous le régime d’une loi fédérale, Ã l’obligation de publication dans la Gazette du Canada, ainsi que les actes de nature publique et générale. Leur impression et leur publication éventuelles se font dans les deux langues officielles.
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31] Quant à l’argument du demandeur concernant le paragraphe 7(2) de la Loi sur les langues officielles, lequel rend obligatoire la publication dans les deux langues officielles « [l]es actes qui procèdent de la prérogative ou de tout autre pouvoir exécutif et sont de nature publique et générale », il ne peut, non plus, être retenu. Il est vrai que l’origine des brevets, en droit anglais, « rests in the royal prerogative of granting letters patent » (Adam Mossoff, « Rethinking the Development of Patents: An Intellectual History, 1550-1800 », 52 Hastings L.J. 1255 à la p. 1259), et qu’un brevet était donc, au départ, un « acte qui procède de la prérogative ».
[32] Toutefois, les règles relatives à la prérogative de la couronne ne sont que des règles de common law, susceptibles d’être déplacées par la législation. Donc, dès qu’une loi occupe un champ autrefois laissé à la prérogative royale, c’est de cette loi que procède le pouvoir de l’exécutif de faire ce qu’autorisait auparavant la prérogative. La Loi sur les brevets crée un régime législatif complet qui remplace, au Canada, la prérogative royale d’accorder un brevet pour une invention. Ainsi, le paragraphe 7(2) de la Loi sur les langues officielles ne s’applique pas aux brevets.
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Actes destinés au public
12. Les actes qui s’adressent au public et qui sont censés émaner d’une institution fédérale sont établis ou délivrés dans les deux langues officielles.
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[50] Vu toutes ces difficultés, on peut faire un parallèle avec le raisonnement du juge Bastarache et de la majorité de la Cour suprême, dans l’arrêt Harvard College, ci-dessus mentionné, au par. 167, et conclure que le fait que, dans leur état actuel, la Loi sur les langues officielles et la Loi sur les brevets ne permettent pas de traiter adéquatement la traduction des brevets est un signe que le législateur n’a jamais voulu que les termes « actes qui s’adressent au public et qui sont censés émaner d’une institution fédérale » visent ces derniers.
3) L’article 22 de la Loi sur les langues officielles
Application en l’espèce
[54] Je conviens avec les défendeurs que la publication de certaines composantes de brevets sur le site web du Bureau des brevets n’est pas un « service » distinct qui doit, en soi, être rendu dans les deux langues officielles. Le Bureau ne fait que reproduire (partiellement) le texte des brevets, tels qu’ils existent. La question d’une violation de l’article 22 de la Loi sur les langues officielles distincte d’une violation de l’article 12 se poserait si les brevets étaient bilingues, mais le Bureau ne publiait sur son site web qu’une de leurs deux versions. Ce n’est pas le cas, et je suis donc d’avis que le Bureau ne contrevient ni l’article 22 de la Loi sur les langues officielles ni à la Charte.
4) Partie VII de la Loi sur les langues officielles
Engagement
41. (1) Le gouvernement fédéral s’engage à favoriser l’épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada et à appuyer leur développement, ainsi qu’à promouvoir la pleine reconnaissance et l’usage du français et de l’anglais dans la société canadienne.
Obligations des institutions fédérales
(2) Il incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que soient prises des mesures positives pour mettre en Å“uvre cet engagement. Il demeure entendu que cette mise en Å“uvre se fait dans le respect des champs de compétence et des pouvoirs des provinces.
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[69] Je conclus donc que les mesures proposées à ce jour par le Bureau des brevets ne sont pas suffisantes pour rencontrer l’obligation qui lui incombe, en tant qu’institution fédérale, de promouvoir l’usage de ces deux langues. Cela dit, les conséquences d’une violation de la partie VII la Loi sur les langues officielles et de ses autres dispositions ne sont pas les mêmes.
5) La réparation convenable et juste eu égard aux circonstances
[79] Je rappelle qu’un brevet est un document qui s’adresse au public et l’informe. Si la traduction complète de tous les brevets, est difficilement réalisable, le Bureau des brevets doit à tout le moins rendre disponibles dans les deux langues officielles les abrégés des brevets, comme l’avait proposé le Commissariat aux langues officielles.
[80] Il s’agira, bien entendu d’une traduction non-officielle. Cependant, sa disponibilité constituera une « réparation convenable et juste eu égard aux circonstances », au sens que la Cour suprême a donné à cette expression dans l’arrêt Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62, [2003] 3 R.C.S. 3 aux pars. 55 à 58. Ainsi, elle permettra de défendre utilement les droits linguistiques du demandeur et de tous les Canadiens en leur donnant une bonne idée du contenu des brevets valides en effectuant une recherche préliminaire dans la langue officielle de son choix. Obliger le Commissaire à rendre disponibles les abrégés bilingues ne dépasse ni le mandat de la Cour dans notre système constitutionnel ni les limites de son expertise. De plus cette mesure n’imposera pas de grandes difficultés au Commissaire, puisqu’il ne s’agit, en somme, que d’une confirmation des mesures qu’il affirme lui-même avoir l’intention de prendre.